4 questions a
Alia Bengana

1
Eline Choffat, vous travaillez la peinture en grand format, avec une construction qui bouscule le regard. Vous citez le critique d’art américain Jonathan Crary comme une référence. Pourquoi ?
Jonathan Crary a été une référence nécessaire durant mon parcours, particulièrement sa réflexion sur l’attention et le regard dans l’art. Sa façon d’analyser comment notre perception est façonnée par notre contexte social résonnait avec mon travail sur les traumatismes et la mémoire. Mais aujourd’hui, je prends mes distances avec sa pensée. Mon travail a évolué vers quelque chose de plus personnel, plus ancré dans l’émotion et le dialogue avec le·a spectateur·ice. Les grands formats et la construction de mes tableaux cherchent maintenant à bousculer le regard d’une manière plus instinctive, moins théorique.
2
Exposer dans la Vitrine de la Vetrina est un défi que vous avez accepté de relever… on vous en remercie. Comment avez-vous réfléchi pour faire vivre une relation avec les spectateur.ices dans un si petit espace ?
La vitrine de la Vetrina, c’est étroit, mais ça me permet justement de créer quelque chose de plus intime. J’aime l’idée qu’un regard peint attrape le passant au détour d’une rue. Dans ce petit espace, c’est plus difficile d’échapper à cette confrontation. La vitrine devient une sorte de cadre où chacun·e peut se retrouver et se questionner sur ce qu’on fait, collectivement, de nos traumatismes.
3
Regarder de très près, ça peut être brutal pour celui qui est mis dans cette situation… jusqu’à devenir voyeur malgré nous. Faut-il provoquer un choc ?
Non, je ne cherche pas le choc à tout prix. Ce qui m’intéresse, c’est de créer une vraie connexion émotionnelle. Ces détails obsessionels en rouge, ils sont là pour toucher quelque chose chez celui ou celle qui les croise. Si ça bouscule parfois, c’est surtout une invitation à être présent·e, à ressentir.
4
Comment la Suisse influence votre travail ? Un petit pays où l’on se regarde beaucoup entre voisins, où on a peu de liberté parce que peu d’espace…
Le sentiment d’être observée, je le porte depuis toujours, mais je ne pense pas que ce soit uni- quement suisse. C’est vrai qu’ici, on a ces ‘caméras invisibles’ dans nos têtes qui nous poussent à suivre les règles sans même y penser. Ça m’a frappée pendant le Covid, tous ces voisins qui se dénonçaient entre eux. Pour moi, c’est ça la Suisse : on peut avoir des problèmes, mais il faut les gérer en silence, proprement, sans faire de vagues. Je l’ai vécu dans mon propre environnement, cette façon de ne jamais vraiment parler des choses négatives, de faire comme si tout allait bien. Cette façon de tout lisser, de tout contrôler en apparence, ça rejoint vraiment l’hypocrisie histo- rique du pays. Ça fait partie de ce que je questionne dans mon travail.