4 questions
MARIMO
Portrait_MarieMo_2023
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Pied à terre est votre deuxième reportage graphique. Après Les Mains Glacées, où vous partez au Groenland, vous voici à nouveau sur un bateau. En Méditerranée cette fois, pour témoigner de l’engagement humanitaire. Comment fait-on pour dessiner à bord ? Quelle est votre méthode ?

Pour les deux projets, j’ai procédé de la même manière, j’ai embarqué avec moi des carnets de bord, dans lesquels je collectais toutes mes impressions du quotidien, que ce soit par le texte ou par le dessin. Les deux expériences étaient très différentes, et ça se ressent dans les deux carnets de bord. Pour le Groenland, le voyage en voilier était beaucoup plus calme et contemplatif, nous étions là, entre artistes, pour créer, échanger et s’inspirer de ce qui nous entourait. Le journal de bord qui m’accompagnait est beaucoup plus calme, soigné, les dessins beaucoup plus nombreux sont plus aboutis, les textes sont travaillés. Pour la mission à bord de L’Ocean Viking, mon rôle de reporter impliquait également de participer à la mission. Entre les différentes tâches et entraînements, notre quotidien était bien rempli. J’avais beaucoup moins de temps pour tout consigner. Les textes prennent plus de place, car je ne voulais rien oublier. Le dessin se faisait le soir, une fois que la journée était terminée. Dans ce carnet, on ressent beaucoup la notion d’urgence et les situations d’attente stressante. J’ai également embarqué avec moi un appareil photo pour compléter mes recherches et mes dessins avec une touche de réalité.

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Vous dessinez « en immersion », dans un reportage engagé pour vos deux premiers ouvrages. Est-ce que c’est une forme que vous allez conserver ? Ce besoin d’aller sur le terrain, de vous impliquer personnellement, c’est là que vous trouvez votre motivation ?

Depuis toujours le dessin me permet de laisser une trace, raconter des histoires, mais également de m’engager auprès des causes qui me sont chères, pouvoir ainsi les partager avec d’autres et avoir une chance d’éveiller les consciences. Mes dessins et mes récits me permettent d’expliquer la réalité, parfois insupportable, là où parfois les mots ne suffisent plus, mais aussi de mettre en valeur des parcours de vie, des rêves, des espoirs, et surtout des émotions. Il est impératif d’agir et lorsque l’on parle de vies humaines, être courageux va de soi. Pour réaliser ce projet et en comprendre les enjeux, il était indispensable pour moi de m’impliquer personnellement et d’embarquer à bord de l’Ocean Viking. Afin de vivre les choses et me sentir suffisamment légitime pour les partager et, surtout, plus humaine ; avoir une chance de participer, à mon échelle, à quelque chose de nécessaire. Je souhaite continuer, avec mes traits, à rendre hommage à toutes les personnes impliquées de près ou de loin dans ces opérations. Pour Pied à terre, mes dessins nous rappellent pourquoi nous devons continuer à nous engager et l’importance de retrouver un peu d’humanité et de courage face à ces drames.

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Quelles sont les contraintes que vous avez dû respecter pour ce travail à bord de l’Ocean Viking ? Par exemple protéger l’anonymat des passagers et/ou des sauveteurs ?

En embarquant sur un bateau humanitaire, il y a obligatoirement des règles à respecter, que ce soit pour des raisons de sécurité mais aussi par respect des membres de l’équipage et des personnes secourues. Les journalistes et photographes qui embarquent pour une mission ont quelques règles à respecter. Notamment pour ce qui est des pièces communes, pas de photos ni de caméras dans le salon et certaines parties du bateau. Afin de préserver la vie privée des sauveteurs et aussi pour des raisons de sécurité (piraterie). Plusieurs sujets leur sont interdits notamment de représenter des cadavres ou des enfants et ils doivent toujours demander l’autorisation des personnes filmées et photographiées. Avec le dessin, je peux être plus subjective et contourner un peu les règles, sans pour autant entrer dans du voyeurisme. J’ai préféré par exemple, ne pas raconter en détail la vie privée des sauveteurs, ou encore me servir des dessins de vagues lorsque le sujet évoque une perte ou des noyades.

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Sur le plan personnel, comment avez-vous vécu cette expérience hors du commun ? Est-ce qu’on ressort indemne d’une telle expédition ? Faut-il se préparer psychologiquement à affronter de telles situations, avant ou après le voyage en mer ?

Depuis mon retour, le mot «courage» revient souvent dans les conversations. Au début, il m’échappait, on l’associe à de l’héroïsme, au fait de ne pas avoir peur, à une force morale. Je ne me sentais pas légitime d’utiliser ce mot. Face à cette réalité, il m’a fallu du temps pour l’accepter, et il m’en faut encore pour ne plus être indignée par la société occidentale, qui elle, peut-être, manque de courage. Il est impératif d’agir et lorsque l’on parle de vies humaines, être courageux va de soi. Si c’était à refaire, je n’hésiterais pas une seule seconde. Ça n’a évidemment pas été facile, un grand huit émotionnel où l’on craque forcément à plusieurs reprises. Mais les moments d’urgence, de peur et de frustration sont vite effacés par le sentiment d’être utile, et aussi par les instants de partage et de joie que l’on vit ensemble. Si la mission a duré 25 jours et réaliser cette BD m’a pris un an, au fond, je suis restée sur ce bateau bien plus longtemps, on n’en part jamais vraiment. Je suis rentrée transformée par tout ce que j’ai pu vivre à bord de cet îlot d’humanité. Avoir pu participer et témoigner de cette partie de l’histoire nous ramène à l’essentiel et à la nécessité de pouvoir faire quelque chose de bien.